samedi 11 mars 2017

La Sonate à Bridgetower (sonata mulattica)

Quand les enfants dorment les parents lisent...

 

 


Mon premier coup de cœur de cette année s'est porté sur le roman d’Emmanuel Dongala. Celui-ci  nous fait le portrait d’un jeune violoniste prodige d'une dizaine d'années, Georges Bridgetower, métis par son père. En suivant son parcours, on  découvre un siècle des Lumières plein de contradictions dont les discussions enflammées parlent de liberté et d’égalité alors que l’esclavage existe encore.  





Arrivés à Paris, Georges et son père fréquentent les salons et rencontrent les  célébrités de cette époque. J'ai apprécié la reconstitution des conversations qui s'y tenaient. Au fil des rencontres, des souvenirs évoqués, les paradoxes des propos tenus sur l'esclavage se soulignent d'eux-mêmes.


La Sonate à Bridgetower souligne les contradictions de la pensée sur la liberté en utilisant la fiction. J'ai apprécié la manière dont l'auteur progresse dans le récit tout en faisant se superposer les différents points de vue sur  l'esclavage. 
 

Ce livre qui nous plonge en plein dix-huitième siècle, ravira les amateurs  de romans historiques. On découvre avec plaisir les rues de Paris en suivant Georges et son père au gré de leurs promenades parisienne. La suite des aventures du violoniste nous emmènera à Londres, à Bath, station balnéaire très prisée en Angleterre que Jane Austen cite  abondamment dans ses romans et à Vienne.


J'ai aimé le récit de l'enfance de ce petit garçon exhibé par son père Frederick sur les scènes européennes. Le récit débute à la veille de la Révolution française quand les émeutes commencent à bouleverser la vie des habitants de la capitale. C’est aussi le récit d’un enfant plongé dans un monde adulte qu’il nous est donné à lire. Il ne fréquente pas de jeunes de son âge. Son seul loisir est le piano et il n’a que son père pour le diriger et l’éduquer.



Or ce dernier est un aventurier. Il se fait passer pour un prince d'Abyssinie. Il s'habille à l'orientale. Il tient à faire de son fils un nouveau petit Mozart. Il garde Georges loin des réalités de la vie. Il lui apprend qu'il est différent  des Noirs  qu'il croise. Il lui enseigne à faire partie d'une élite. Pourtant, il aime jouer, boire et sortir sans son fils. La rupture aura lieu à Londres puisque protégé par le Prince de Galles, l'enfant trouve en ce dernier la figure paternelle qui lui manquait.




La relation entre le père et le fils est passionnante à suivre au fil du récit. Frédérick protège son enfant de ce que sa couleur de peau pourrait lui faire subir. Il en fait un européen et le prive de l'histoire de ses ancêtres. Georges en prenant de l'assurance devient ce que son père souhaite et se soustrait à son influence. C'est un processus habilement mis en place au fil du roman qui trouve sa résolution lorsque le Prince chasse définitivement Frederick de Londres au moment où il se met à fréquenter les mouvements abolitionnistes qui naissent à Londres. 

 


A travers le destin de ce musicien oublié, l’auteur dresse un portrait frappant du Paris de la veille de la Révolution. Si Georges lit Robinson Crusoé de Daniel Defoe, son père découvre Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre. 


 

De Paris à Londres puis à Vienne, le musicien rencontre les grands noms de ce siècle. Il joue avec les plus grands musiciens, est adulé par les amateurs de musique, se lie d’amitié avec Beethoven. De cette rencontre résultera "la sonate à Kreutzer", injustement nommée puisqu’elle fut écrite par le compositeur allemand à l’intention du jeune métis. A la suite d'une brouille entre les deux hommes, celle-ci sera finalement dédiée à Rodolphe Kreutzer, violoniste célèbre en France.



J'ai particulièrement été sensible au passage où Georges et Beethoven jouent ensemble cette sonate que ce dernier vient de terminer. Emmanuel Dongala a su trouver les mots pour décrire le jeu musical entre le piano et le violon.






On peut contempler son portrait au British Muséum.





Emmanuel Dongala est chimiste de formation. En parallèle, il poursuit son œuvre de romancier. Il a vécu et enseigné au Congo avant de quitter ce pays pour les États-Unis où il enseigne la chimie et la littérature africaine francophone.


La Sonate à Bridgetower 
(Sonata Mulattica)
d'Emmanuel Dongala.

Editions Actes sud

2017