Quand les enfants dorment, les parents lisent...
C'est l'histoire d'une passion insensée que raconte Agathe Ruga dans son deuxième roman, un amour qui transforme la narratrice, l'empêche de continuer à vivre normalement, d'être une mère et une épouse, la détourne de ses lectures, de son travail mais surtout c'est le récit d'un désir à sens unique.
Ce roman s'inscrit dans une continuité littéraire. Impossible
de ne pas songer à l'Ariane de "Belle du seigneur", ni d'évoquer "une
passion" d'Annie Ernaux en lisant "l'homme que je ne devais pas aimer". La narratrice, qui porte le même prénom que l'héroïne
d'Albert Cohen, face à cet homme qui la rejette, est incapable
d'oublier cet être qui l'obsède et de passer à autre chose même après
avoir couché avec lui. Elle rêve d'une liaison, de sexe or Sandro, le
barman, dont elle tombe si profondément amoureuse n'a rien de commun
avec le style d'hommes qui lui plaisent habituellement et surtout
rejette cette idée d'une relation adultère avec elle. Figure de la nuit,
d'origine italienne, amateur de vins, macho et célibataire, il est
l'exact contraire de l'homme qui partage la vie.
Ariane ne se reconnaît plus ou plutôt a l'impression de se
conduire comme sa mère. Commence alors pour la narratrice une période
d'introspection. Le récit de son enfance croise alors celui de son
présent . Les chapitres alternent entre le récit de cette période
troublée et les souvenirs du passé. Le roman illustre un phénomène
psychologique que le psychiatre Jean Cottraux a qualifié de scénario des
répétitions de vie. Il fait penser également à l'essai du
psychothérapeute Guy Corneau, "N'y a t-il pas d'amour heureux? ", un
livre dans lequel est mis en lumière la manière dont les relations du
parent envers l'enfant conditionnent les vécus amoureux de ces
derniers.
Ce que cet amour sans retour apporte à Ariane, c'est une réflexion sur elle-même, sur ses désirs. Elle réalise progressivement qu'elle recherche chez cet amant le portrait d'une figure paternelle. Grace à ce sentiment qui la submerge comme une adolescence, Ariane réussit à se remettre en question, évacuant l'hypothèse d'une dépression post natale, puis examinant tous les hommes qui ont compté dans sa vie, son père, les amants de sa mère et analysant point par point ce qu'elle recherche chez cet homme dont elle ne peut plus se passer.
Autopsie d'une passion contemporaine, "l'homme que je ne devais pas aimer" est un superbe roman d'amour qui se lit avec des nœuds au ventre car on s'y reconnaît parfois au détour d'une phrase. S'y cache aussi une très belle réflexion sur les familles recomposées et sur la place des uns et des autres dans ce nouveau mode de vie.
©Photo du blog Agathe the Book |
L'homme que je ne devais pas aimer
d'Agathe Ruga
2022