dimanche 14 mai 2023

Le Nao de Brown

Porté par un dessin à l’aquarelle superbe, une héroïne jeune et jolie qu’on voit s’enthousiasmer pour les jouets japonais dont c’est la passion, partager des moments de complicité avec ses amis Steve, Gregory ou sa colocataire Tara, Le Nao de Brown nous plonge dans un Londres où les personnages sont attirés par l’exotisme, que ce soit par la méditation bouddhiste ou l’attrait de la culture japonaise qui déferle par les mangas, les animes, les films ou les goodies. Bien qu’hyper référencé sur tout ce qui concerne l’univers asiatique, le roman graphique évoque pourtant des personnages devenus universels comme Hello Kitty, des chansons connues comme « Yes, I’m your angel » de Yoko Ono et des quartiers de l’Ouest londonien.

 

 

Pourtant, sous les traits de cette jeune-fille métisse anglo-japonaise se cache un être dévoré par les troubles obsessionnels ; Nao est envahie par le désir subit de blesser, d’agresser les gens avec lesquels elle se trouve. L’album fait peu à peu le récit de ses crises de schizophrénie. Assaillie par des tocs violents qui l’incitent à des élans de violence, elle tente par la méditation de se débarrasser de ces crises ; c’est là que la machine à laver présente sur la couverture de la bande dessinée intervient alors que Grégory Pope entre dans sa vie. Glyn Dillon, dans son roman graphique réussit à ne pas faire de son récit une histoire macabre. Ses dialogues pétillent d’humour ; Noa est une jeune-fille pleine de charme, parfois un peu maladroite et souvent drôle, aimant plaisanter. 


 

Partagée entre sa gentillesse et les pulsions qui la font se sentir haïssable, elle se laisse souvent aller à l’introspection notant ses réactions et ses désirs de un à 10. Les cases où ses instincts meurtriers s’expriment sont dessinées avec réalisme. Le lecteur, qui ignore encore que ce sont l’expression de ses pulsions, se sent subitement désorienté. Le dessin de Glyn Dillon est superbe ; il mêle un conte japonais ancestral à l’histoire de Nao tout en le laissant s’inscrire progressivement dans le récit contemporain qui se déroule dans les rues de Londres. 

 

Bien que terrifiant à certains moments, le Nao de Brown  est un roman graphique positif qui fait le portrait de personnages drôles et plein de vie tentant envers et contre tout de lutter contre leurs penchants destructeurs. L’album a reçu le Prix spécial du jury d’Angoulême en 2013. Pourtant il est loin de faire l’unanimité auprès des lecteurs. Si pour certains, il est perçu comme un chef d’œuvre, d’autres sont déçus de leur lecture. Cependant il est difficile de rester indifférent face à un sujet si particulier que le traitement de la folie en image ainsi qu’à la beauté du dessin. 

 

Le Nao de Brown 

de Glynn Dillon

Editions Akileos

2012

mardi 9 mai 2023

Les Eclats

 Quand les enfants dorment les parents lisent...

Treize ans après son dernier roman, Bret Easton Ellis revient avec les Éclats et s’autorise un nouveau récit dédié aux années de l’adolescence. L’auteur avait avec Moins que zéro lancé un nouveau style en faisant le portrait de jeunes nantis. Ces derniers roulaient en voiture de marque, fréquentaient Buckley, un lycée privé de privilégiés de Los Angeles tout en s’adonnant à la drogue, au sexe et à l’alcool sans limite. Son style, bien que minimaliste, s’émaillait de références à la pop culture. Dans son dernier livre, on retrouve cette ambiance qui lui est si particulière. Les titres des tubes des années 80, les références cinématographiques, le nom de personnalités célèbres des années 80 (phénomène qu’on a taxé également de « name dropping ») se glissent dans ses pages.

 

C’est un bel exercice littéraire auquel se livre Bret Easton Ellis. Dans cette évocation de son adolescence, l’arrivée d’un nouveau venu Robert Mallory qui l’attire et le répugne tout à la fois lui permet d’aborder la problématique de l’homosexualité dans l’univers lycéen qu’il fréquente. C’est avec la maturité d’un adulte qu’il reconsidère les évènements qui se sont déroulés lors de son année de terminale, faits que « Moins que zéro » laissait présager.   

 

Dans ce texte d’autofiction que nous offre Bret Easton Ellis, il se met en scène en tant qu’auteur. Il nous décrit le déclic qui l’a conduit à se mettre à écrire sur son année de terminale. Le récit du narrateur est celui d’un homme mur. Avec recul il nous fait le récit de cette année charnière où tout a basculé.

 

Dans un mélange de Moins que zéro  et d’American Psycho, à la manière de Stephen King, un auteur qu’il vénère, l’auteur fait monter l’angoisse jusqu’aux dernières pages. Jouant habilement entre ses deux « moi » narrateurs, Les Éclats mettent en scène la fascination et la répulsion de la Californie pour les sérials killers. Les États-Unis sont encore marqués par l’épisode Charles Manson et les meurtres que ce dernier a commis. C’est dans ce climat d’horreur que Bret évoque les violations de domicile, les disparitions d’animaux puis celles de jeunes-filles alors que les journaux comment à parler du « Trawler », un serial killer qui sévit dans la région.

 

Malgré cette montée de la tension qui s’effectue au fil du roman, tout concourt à l’effet nostalgie. On se croirait revenu dans l’univers de Moins que zéro qu’on retrouvait également dans Suite(s) impériale(s). Ce sont les rues de Los Angeles qui s’ouvrent au lecteur qui retrouve, outre l’ambiance propre aux textes de l’auteur, les lieux familiers de ses précédents romans. 


Les Éclats

de Bret Easton Ellis

traduit de l'américain par Pierre Guglielmina

Éditions Robert Laffont

2023