mardi 24 août 2021

Le dernier bain de Gustave Flaubert


 Quand  les enfants dorment, les parents lisent...

On dit souvent qu’au moment de mourir, on voit défiler toute sa vie. Gustave Flaubert, frappé d’une apoplexie foudroyante, dans le récit de Régis Jauffret, en fait l’expérience. Le roman met en scène les dernières heures de l'écrivain normand.

Personnages réels issus de ses souvenirs et créatures de fiction se bousculent autour de sa baignoire. 

C'est Madame Bovary qui lui apparait la première. Elle le houspille, l'inonde  de reproches, le harcèle.

 

Très vite le lecteur est prévenu par le narrateur : « je vous donne ici des phrases de mon cru dont le plus souvent vous ne trouverez trace ni dans mes œuvres ni dans ma correspondance ni d’une façon générale dans aucune archive. Deux siècles après sa naissance un auteur doit se renouveler. »

 

Effectivement, Régis Jauffret s’amuse avec son lecteur ; il joue à écrire du Flaubert ; il imite si bien son style qu’il faut s’y reprendre à deux fois avant d’identifier ce qui relève de l’imaginaire et de démêler les scènes issus de romans, de correspondances ou de textes de ses contemporains car bien que de nombreuses lettres aient été détruites ou perdues, il reste quand même une grande documentation concernant la vie de l’auteur ainsi que de nombreux brouillons et notes.  


Il évoque avec tendresse l’amour que portait l’écrivain à sa mère, son désespoir au décès de sa sœur Caroline, son affection pour sa nièce que sa mère élèvera à Croisset , son amitié avec  Alfred Le Poittevin, celle qui le lia  au  poète Louis Bouillhet et sa première et seule passion pour Elisa Schlésinger à Trouville. 

C’est aussi une promenade dans la ville de Rouen à laquelle  nous convie le narrateur, dans cette ville de Normandie où Flaubert est né, a grandi et où on peut encore visiter l'Hôtel- Dieu, hôpital où son père exerçait et où il vécut ses premières années.


Cependant, Régis Jauffret ne s’efface pas totalement  ; il se met en scène tel un personnage de l’auteur : « vivement que la mort oblige Régis Jauffret à porter le solide niqab de bois verni qu’on appelle un cercueil. »


Quant au chutier, dans lequel se succèdent des scènes réinventées de la vie de l’écrivain, il apparait comme une suite de rushes qui n’auraient pas trouvé leur place dans le scénario du "dernier bain de Gustave Flaubert", et donne avant tout, l’envie d’aller relire les textes et la correspondance de l’auteur. 

 

© Maxppp / Le Parisien
Ecrivain français né en Marseille en 1955,  Régis Jauffret, après des études de philosophie, écrit de nombreux romans notamment des Microfictions, textes très courts et très noirs. En 2020, il publie Papa, un texte aux accents biographiques et en 2021, l'année du bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert, la biofiction surprenante de ce dernier.

 

 

 

 

 

 

 Le dernier bain de Gustave Flaubert 

de Régis Jauffret

Éditions du Seuil 

2021


jeudi 19 août 2021

Peur de rien


 Une princesse gothique, un chevalier sans peur et sans reproche et un cimetière hanté, Peur de rien flirte avec le  fantastique et l'humour.

Kévin, notre jeune héros, intrépide jusqu'à l'inconscience est prêt à tout pour enfin connaître  la peur et se lance dans une quête insensée en pénétrant dans le cimetière Osférade.

Traqué par "les tee-shirts noirs" qui veulent sa peau, rejoint par son père et son meilleur ami, le roman regorge de péripéties souvent drôles et de combats sanguinaires.

"Peur de rien" nous emmène dans une banlieue ou les méchants font la loi  et où les monstres les plus effrayants feront trembler nos jeunes lecteurs.

Il est publié dans la collection "Pepix" chez Sarbacane, dans laquelle on trouve à la fois humour et aventure. Cette collection  permet aux enfants de primaire qui ont peur "des livres écrits partout" de lire de vrais romans grâce aux illustrations très présentes dans cette collection de romans.

Dès 8 ans. 



Lorsque Stéphane Gisbert n'écrit pas pour la jeunesse, il est comédien. D'ailleurs, il est né à Avignon...

Peur de rien est son troisième roman publié aux éditions Sarbacane. 




Peur de rien

de Stéphane Gisbert

illustré par Alice Morentorn

Éditions Sarbacane

jeudi 6 mai 2021

Les aventures d'Alice au Pays des Merveilles

 

Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles est certainement un des premiers textes à s’adresser véritablement aux enfants dans l’histoire de la littérature jeunesse. Il vise simplement à amuser et distraire ces derniers sans volonté d’éduquer ni visée moralisatrice.

Publié en 1865, il a d’abord été inventé par son auteur Lewis Carroll à l’intention d’une petite fille Alice Liddell, lors d’une promenade en barque. Il réalisera un exemplaire calligraphié et illustré de sa main des Aventures d’Alice sous terre afin de le lui offrir. En revanche, il demandera en 1865 à John Tenniel de réaliser les dessins de l’album en vue d’une publication.

L’ouvrage connaitra un succès mondial ; il sera traduit, adapté en spectacle et notamment en dessin animé par Walt Disney, au cinéma et de nombreux illustrateurs reprendront ce classique de l’enfance. 


 

Anthony Browne, en décidant à son tour de se lancer dans la publication d’un des plus importants textes de jeunesse de son enfance, réfléchira fortement à ses choix. Il est hors de question pour lui de reproduire le style de Tenniel ; il choisit de s’affranchir des dessins qui ont accompagné sa lecture ; son inspiration flirtera davantage avec le surréalisme. C’est finalement  la chute d’Alice, qui donnera également sa couverture à l’album, que ce dernier décide de représenter avec minutie et précision. Il conserve l’inspiration victorienne du conte et place en revanche une multitude de détails qu’on retrouvera au fil de l’histoire de Lewis Carroll. Tasses de thé, clés, cochons, serrures défilent alors que la petite fille tombe. John Tenniel en effet n’avait pas représenté cette partie de l’histoire. 

 

 

Chacune de ces illustrations contiennent des indices de la suite du récit ; on voit une carte du roi de cœur dans la mare de larmes dans laquelle Alice nage ; la duchesse porte des oreilles de cochon préfigurant la transformation du bébé. Nombre des dessins de l’album sont des hommages à Magritte. On connait la passion d’Anthony Browne pour les gorilles. On en croisera quelques-uns dissimulés dans une foule d’animaux. Le Pays Merveilleux échappe à toute cohérence. L’ombre d’Alice a l’apparence d’un chat et, fait encore plus extraordinaire, derrière la petite fille et sa sœur, sur le frontispice, on voit la silhouette du lapin blanc dans l’herbe. L’illustrateur n’en avait pas conscience et ne l’aurait pas vu si, lors d’une interview, on ne lui avait pas fait remarquer. 

 

 



 

Cet album qui s’adresse aux enfants de ce XIXème siècle peut sembler difficile à saisir pour un lecteur de notre époque et notamment pour un enfant. Pourtant, ces derniers, grâce au dessin, accèdent tout de suite à l’imaginaire singulier du Pays des Merveilles. Les personnages anthropomorphisés ou non tiennent un discours décalé qui les fait rire. Alice tente désespérément d’éviter de parler de sa chatte Dinah à la souris après avoir réalisé que les chats mangent les souris. En effet, elle avait décidé d’entrer en matière avec « où est ma chatte ? », première phrase de son livre de Français, s’étant dit que cette dernière ne parlait certainement pas l’anglais ce qui bien entendu était une bévue.  Elle s’évertue également, lors de sa rencontre avec la tortue-fantaisie à dissimuler qu’elle connaît les homards et les merlans parce qu’ils appartiennent aux aliments que les êtres humains mangent.  


 

Aux jeux de langage que Lewis Carroll parsème tout au long de son ouvrage s’ajoute l’absurdité de ce monde où rien n’est expliqué comme "la course à la comitarde" ou le croquet, jeux qui débutent alors qu’Alice n’en connait pas ou n’en comprend pas les règles. 

 

Ce "Pays des Merveilles" n’apparait pas, malgré son nom, comme un univers qui fait rêver. Pourtant Alice y accède par le songe. Il fait sans doute même un peu peur. La reine ne cesse d’ordonner « qu’on lui coupe la tête » désignant tel ou tel invité sans raison ; la fillette passe son temps à recevoir des ordres sans percevoir de logique dans les demandes et ne reçoit jamais de réponse satisfaisante lorsqu’elle pose une question. L’énigme du chapelier n’a pas de solution comme elle le découvre après avoir essayé en vain de la résoudre. Les matières étudiées par la tortue fantaisie n’ont ni queue ni tête. Si les lecteurs de nos jours n’ont aucune connaissance des textes qu’Alice doit réciter et dont elle ne se souvient plus, cela n’a aucune importance car l’auteur pastiche les textes classiques appris par les élèves (les enfants du XIXème en revanche les reconnaissaient) pour en critiquer le côté moral. 

 


 

Quant au personnage du chapelier fou, qui semble relever d’un imaginaire de l’absurde pour un lecteur contemporain, il constitue pour les petits anglais, une référence à la folie. Ne dit-on pas « mad as a hatter » ? Les fabricants de chapeau  étaient , semble-t-il susceptibles de devenir fou par l’emploi du mercure. De même l’expression « mad as a March hare », allusion à la conduite des lièvres au début de la période des amours, était également répandue.  

 

Ce conte est par certains côtés transgressif. Charles Dodgson, dont Lewis Carroll est le pseudonyme, était professeur à Oxford où il enseignait la logique. Il a d’ailleurs écrit des ouvrages scientifiques. Sous le couvert de ce conte, se cache une critique de l’enseignement et sans doute également une dénonciation de la société victorienne. Quant à   Alice, elle se présente comme une écolière peu brillante, que ce soit du point de vue de la géographie ou de la grammaire. En revanche, elle est vive, observatrice et n’hésite pas à intervenir et à souligner les contradictions dans les discours des personnages qu’elle rencontre. Alice n’est certainement pas une petite fille très bien élevée à la conduite irréprochable mais c’est pour cette raison  qu’elle touche autant le lecteur. 

 

 

Alice au Pays des Merveilles
de Lewis Carroll
illustré par Anthony Browne
traduction d'Henri Parisot
éditions kaléidoscope 
1988



 

 

jeudi 29 avril 2021

Tea Rooms

 

Quand les enfants dorment les parents lisent...

 

  Tea Rooms  est un texte très fort. Publié en 1934, il raconte le quotidien d’un salon de thé à Madrid. Loin d’être simplement un roman social illustrant  la vie des salariés alors que la crise économique se fait plus gravement sentir, le récit met en scène avec précision les clients et employés qui fréquentent ce commerce dans lequel Mathilde parvient à se faire embaucher.

Alors que le chômage monte et que le travail se fait rare, la misère règne dans les quartiers modestes de la capitale espagnole. Il s’agit bien plus de survivre et de  nourrir sa famille que de gagner de quoi vivre décemment dans les rues de Madrid. Les gérants et directeurs des entreprises et commerces font partie des gens aisés et n’hésitent pas à profiter de leur position privilégiée pour exploiter leur personnel. Luisa Carnés en fait un portrait sans concession ; le propriétaire du salon de thé est surnommé « l’ogre » par ses employés.  L’homme qui reçoit Mathilde en entretien pour un travail de bureau est gros et chauve et « une salive brune perle aux commissures de ses lèvres. ». L’autorité des responsables et leurs exigences sont difficiles à supporter. Les vendeuses travaillent dans des conditions sociales précaires ; leurs jours de congés sont souvent susceptibles d’être supprimés. Leurs heures de présence sont nombreuses avec peu de pauses ; elles sont fatiguées et ont sans cesse mal aux pieds. 

 

La situation économique dans la ville est telle qu'une partie de la population est contrainte d'accepter des emplois inférieurs à ses compétences ; Mathilde cessera de postuler comme mécanographe pour être embauchée comme vendeuse dans un salon de thé. Outre le fait de toucher un salaire moindre que ce qu’elle aurait pu décemment gagner, l'obtention de ce poste se teinte d’une sensation d’échec, le sentiment d’être sous-estimée, de ne pas réussir à faire valoir ses aptitudes réelles.

Alors que les mouvements de grève se multiplient, que les ouvriers se syndiquent et se retrouvent pour protester contre des conditions de travail et  une exploitation abusive, Mathilde et ses collègues s’inquiètent de ce mouvement qui gronde dans les rues de la ville ignorant comment réagir, sachant à quel point elles sont susceptibles d’être renvoyées à tout moment.

 

 Le roman montre l’envers du décor du salon de thé, « une maison distinguée » de Madrid comme la responsable de l'établissement le caractérise.  Aux pâtisseries fraiches et au service impeccable exigé des serveurs s’oppose le local sale et puant dans lequel se changent les jeunes-femmes ainsi que la présence de souris qui s’aventurent jusque sous les comptoirs.  Entre Esperanza la doyenne qui a plus de cinquante ans et Felica, qui n'a  que dix-huit ans, Trini, Clara, Laurita et Marta, les histoires de chacune concourent à faire un portrait hétérogène des femmes qui travaillent avec Mathilde. 

     

© Luisa Carnés et son fils Ramon /La contre allée
Luisa Carnés est né à Madrid en 1905 dans une famille modeste. Elle a commencé à travailler à onze ans.   Tea Rooms est inspiré de sa propre expérience dans un salon de thé où elle a été employée. Autodidacte, elle réussit à devenir journaliste et romancière. Obligée de s’exiler au Mexique en raison de son engagement au parti communiste, pays où elle décèdera en 1964, elle a été  oubliée dans son pays où elle avait été saluée néanmoins comme l'une des meilleures écrivaines de sa génération. Redécouverte et rééditée en Espagne,  ce sont  les éditions de la Contre Allée, en France,  qui  de la traduire et de la faire connaitre.

 

 

 

Tea Rooms 

de Luisa Carnés

traduit par Michelle Ortuno

Éditions la Contre allée 

2021